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Jean Cadieux, coureur de
bois, avait fondé une famille avec une femme algonquine, Marie Bourdon. Il était
né à Boucherville, le 12 mars 1671 de Jean Cadieux et de Marie Valade, dont il
était le fils cadet. Chasseur et trappeur, il traitait avec les Indiens et échangeait
des fourrures contre les provisions et les produits manufacturés qui lui
permettaient de passer l'hiver encabané au fin fond des bois. Par un beau
jour de mai 1709, il descendait avec quelques Indiens de l'île Morisson à
Montréal pour aller vendre des fourrures. Lors d'une halte aux portages des
sept chutes à l'Île-du-Grand-Calumet, l'un de ses compagnons, un jeune
Algonquin parti en reconnaissance, repéra un groupe de guerriers iroquois venu
tendre des embuscades aux voyageurs pour s'emparer des précieuses fourrures.
Pour s'échapper, il fallait franchir des sauts infranchissables et cela, sous
une nuée de flèches ! Afin d'augmenter les chances de survie de ses compagnons
et de sa famille, Cadieux décida avec un jeune guerrier algonquin de faire
diversion et d'attirer les Iroquois loin des rapides pour leur permettre de les
franchir en toute quiétude. Tous se cachèrent au fond de leur canot en amont
des rapides, prêts à partir au signal convenu, soit un coup de fusil.
Une heure plus tard, Cadieux et son compagnon prirent les Iroquois à revers et
les attirèrent loin des rapides. Un échange de coups de feu s'ensuivit : c'était
le signal qu'attendait les compagnons de Cadieux pour s'élancer dans les
terribles rapides, sous l'œil médusé de quelques Iroquois qui n'en revenaient
pas et qui étaient plus préoccupés à se protéger des assaillants que de
tirer sur les fuyards. Avec une dextérité hors du commun, les canotiers
algonquins conduisirent les frêles esquifs d'écorces au milieu des flots
rugissants, évitant tout contact avec les rochers qui auraient pu déchirer les
fragiles écorces de bouleaux, ce qui les auraient conduit à une mort certaine.
Deux jours durant, ils naviguèrent à un rythme d'enfer et atteignirent le lac
des Deux Montagnes où ils trouvèrent refuge au Fort.
Ne le voyant pas revenir, trois de ses compagnons, après avoir mis familles et
fourrures en sécurité, partirent à la recherche de Cadieux. Les Iroquois
avaient quitté l'île et les Algonquins trouvèrent un petit abri de branche
vide près du portage des sept chutes. Les guerriers algonquins partirent à la
recherche de leurs compagnons, lisant les traces laissées par les agresseurs et
assaillants comme dans un grand livre. Le jeune algonquin avait été tué et,
trois jours durant, les Iroquois avaient battu l'île à la recherche de Cadieux
qui continuait à guerroyer, aussi insaisissable qu'une ombre !
Après deux jours de recherches infructueuses, ayant perdu tout espoir de
retrouver Cadieux, ils découvrirent une croix de bois plantée en terre près
de l'abri qu'ils avaient remarqué à leur arrivée. Et là, à demi enterré,
gisait le corps de Jean. Il tenait entre ses mains une longue écorce de bouleau
sur laquelle, avant de mourir, il avait transcrit sous forme d'une complainte,
son épopée.
Il avait réussi à échapper aux Iroquois, mais épuisé, affaibli par trois
jours de guérilla et de privations, il avait vu revenir ses compagnons, mais
sans trouver la force de les héler. Il s'était préparé à la mort, creusant
sa tombe et y plantant une croix après avoir composé sa complainte. Il s'était
ensuite enseveli avec ses dernières forces, attendant la mort en un lieu dit le
Petit Rocher de la Haute Montagne.
Cent cinquante ans plus tard, Jean-Charles Taché relate que la légende de
Cadieux était tellement vivace que les coureurs de bois qui passaient sur
l'Outaouais s'arrêtaient sur la tombe pour prier, entretenir la croix et en
prendre un copeau pour leur porter chance. Certains accrochaient à un arbre
proche une copie de la complainte écrite sur une écorce de bouleau. Taché
transcrivit la complainte qui comportait onze couplets et retrouva un prêtre,
le père Cadieux, qui lui confia que Jean Cadieux était le grand-père de son
grand-père.
En 1905, les ouvriers qui construisaient le Palais de justice de Bryson demandèrent
et obtinrent la permission de construire un monument de pierre à la mémoire de
Cadieux à la place de la croix de bois, ce qu'ils firent sans aucune solde, par
seul soucis d'honorer la mémoire de Cadieux.
Commença ensuite la guerre des monuments entre Bryson et l'Île du Grand
Calumet, chacun revendiquant le droit de posséder le monument à la mémoire de
Cadieux. Le monument fut saccagé puis détruit par des vandales. Pour le protéger,
les habitants de l'île récupérèrent nuitamment le monument et l'installèrent
dans un parc à l'entrée du village afin de veiller sur lui.
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