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Dès
le XVIIIe siècle, les marins au long cours, les soldats des corps expéditionnaires,
les voyageurs - bref, tous ceux qui entraient en contact avec des sociétés
primitives - s'approprient le tatouage et portent ce stigmate de l'exclusion
comme un défi, ou pour intégrer des communautés étrangères. À l'heure où
le voyage se démocratise et où les codes sociaux explosent, nombreux sont ceux
qui adoptent le tatouage pour attester de leur besoin de communiquer, de leur idéalisme
et de leur ouverture d'esprit. Non moins dans le but d'entrer, une fois pour
toutes, dans la grande famille internationale des tatoués.
Baptême
de sang et d'encre
Du
XVIe au XVIIIe siècle, la pratique quasi-généralisée du tatouage chez les
nations amérindiennes fascine fortement les Français. Pour les Amérindiens,
il était esthétique sur le corps d'une femme, signe de bravoure sur le corps
d'un homme et permettait d'établir un statut social.
Au XVIIIe siècle, en Louisiane, un officier de l'armée française du nom de
Jean-Bernard Bossu fut adopté par la nation Akanças à la suite d'un acte de
bravoure : on lui tatoue un chevreuil sur la cuisse. À la même époque,
de nombreux Canadiens portent sur le corps " la figure de quelque
plante ou animal ", car le tatouage facilitait les rapports, notamment
commerciaux, avec les Amérindiens. L'Européen se faisait donc tatouer pour intégrer
le corps social autochtone. L'Amérindien, quant à lui, se soumettait au baptême
pour entrer dans la communauté des Chrétiens.
La
culture dans la peau
Au
début du XIXe siècle aux îles Marquises, l'Église interdit les décors
corporels et éradique tout ce qui représente la culture marquisienne. La dernière
génération de tatoués s'éteindra dans les années 1930. On avait cru les îles
totalement acculturées et les motifs du tatouage traditionnel perdus à
jamais… À tort ! Dans les années soixante-dix, sous l'impulsion d'un
religieux catholique, les habitants se lancent à la recherche de leurs racines.
Mais où retrouver les dessins non consignés par cette société de tradition
orale ? En Occident ! Des savants et des collectionneurs les ont
rapportés et parfois publiés. C'est là que les Marquisiens viennent les
rechercher depuis les années 1980.
http://www.routard.com
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La mémoire sur la peau
Arnaud Balvay, étudiant au
doctorat en histoire, explore les différentes significations du tatouage en
Nouvelle-France
Aux 16e, 17e et 18e siècles,
la pratique très répandue du tatouage chez les Amérindiens impressionnait
fortement les Français. Si certains voyaient là un symbole de sauvagerie,
d'autres le percevaient comme substitut à l'écriture. Mais avant toute chose,
le tatouage servait à l'identification de l'interlocuteur amérindien. Au
contact des Européens, les autochtones ont incorporé des motifs chrétiens à
leurs tatouages, comme des croix et des noms de Jésus. De plus, des coureurs de
bois et des militaires se sont fait tatouer par des Amérindiens. Tel est
l'essentiel de l'exposé qu'a livré l'étudiant au doctorat en histoire Arnaud
Balvay, le jeudi 17 octobre à l'hôtel Clarendon à Québec. Il faisait sa présentation
lors de la réunion annuelle de la Société américaine d'ethnohistoire.
S'embellir ou afficher sa
valeur
Arnaud Balvay a étudié la question du tatouage dans le cadre de sa thèse
portant sur les relations entre les soldats français et les Amérindiens. Cette
pratique quasi généralisée parmi les nations amérindiennes remplissait,
selon lui, plusieurs fonctions. Les femmes y recouraient pour embellir leur
corps. Les hommes, quant à eux, s'en servaient comme rappel de leurs exploits
guerriers. Serpents, lézards, écureuils et tortues, ou bien fleurs, feuilles,
soleils et lunes constituaient les principales images tatouées. On tatouait
aussi de simples traits. "Le tatouage permettait, de par sa visibilité, d'établir
un statut social, explique Arnaud Balvay. Plus l'homme était tatoué, plus le
guerrier était reconnu comme valeureux."
Dans la société coloniale, le tatouage servait à identifier les individus.
Dans un cas de viol suivi d'un assassinat survenu en 1689 à Montréal, les
autorités reconnurent formellement l'assassin amérindien à cause de ses
tatouages. Le tatouage pouvait également servir de signature lors d'échanges
commerciaux. "On sait, raconte Arnaud Balvay, que certains traiteurs, pour
faire signer des reconnaissances de dettes ou des contrats, recopiaient un des
tatouages qu'ils voyaient sur le corps de l'Amérindien.
"Des corps "effroyables
et hideux"
En Europe à cette époque, le tatouage était associé soit à l'infamie (on
marquait les criminels au fer rouge), soit à l'irréligion (altérer le visage
créé à l'image de Dieu était faire injure à Celui-ci). Pas surprenant alors
que le père Sagard ait écrit avoir l'impression, en regardant les corps d'Amérindiens
tatoués, de contempler "l'image de quelque démon".
Les coureurs de bois voyaient leur contact facilité avec leurs partenaires
commerciaux amérindiens, grâce à leurs tatouages. Les Canadiens placés sous
le commandement du marquis de Montcalm portaient tous sur le corps "la
figure de quelque plante ou animal". Même chose pour certains officiers de
l'armée française, notamment Jean-Bernard Bossu, présent en Louisiane au
milieu du 18e siècle. Dans le témoignage qui nous est parvenu, Bossu écrit
que les Akanças l'ont adopté à la suite d'un acte de bravoure et reconnu pour
guerrier. En conséquence, un chevreuil a été tatoué sur sa cuisse. Selon
Arnaud Balvay, le rite de passage que constitue la pose d'un tatouage sur un
non-Amérindien permet à ce dernier d'intégrer le corps social autochtone avec
un nom amérindien et le statut d'homme à part entière. "On peut opposer
le tatouage au baptême des Amérindiens, conclut-il. Dans les deux cas il
s'agit d'un rituel d'adoption. D'une part, un Européen quitte la civilisation
pour un état de sauvagerie. D'autre part, l'Amérindien perd son état sauvage
pour entrer dans la communauté des chrétiens."
YVON LAROSE
http://www.ulaval.ca/scom/Au.fil.des.evenements/2002/10.31/tatouage.html
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